Dans le cadre de la recodification et de la modernisation du Code civil – qui a abouti notamment à la refonte du Livre 3 consacré aux biens (entré en vigueur le 1er septembre 2021) -, le législateur a approuvé les nouveaux Livre 1er (comportant les « dispositions générales » applicables à tout le Code civil) et Livre 5 (relatif au droit des obligations, qui gère tous les rapports privés), qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023.
Alors que le législateur a annoncé que la recodification avait lieu « à droit constant », des modifications – parfois significatives – sont consacrées voire introduites dans le droit des obligations et notamment dans le droit des contrats. Ces modifications peuvent avoir un impact important sur les contrats à conclure par les professionnels du secteur immobilier, aussi bien dans le cadre de la vente ou de la location de biens qu’en ce qui concerne la gestion immobilière.
Il convient donc de réexaminer attentivement vos contrats-types au regard de la nouvelle législation, sachant que celle-ci s’applique en principe aux contrats conclus après son entrée en vigueur, soit à partir du 1er janvier 2023, et ce d’autant plus qu’il est permis de déroger contractuellement à de nombreuses dispositions du nouveau Livre 5 du Code civil.
De manière générale, le législateur a annoncé rechercher « un nouvel équilibre entre l’autonomie de la volonté des parties et le rôle du juge en tant que gardien des intérêts de la partie faible et de l’intérêt général ». C’est pourquoi, il a voulu renforcer l’autonomie de la volonté sur certains points et, sur d’autres points, permettre au juge de « corriger des situations de déséquilibre contractuel ».
L’autonomie de la volonté
Lorsqu’un contrat ne réunit pas ses conditions légales de validité, il est nul. Toutefois, un contrat n’est nul et donc cesse de produire des effets juridiques qu’à partir du moment où sa nullité était constatée.
Jusqu’à présent, seule une décision de justice pouvait constater la nullité d’un contrat. Dorénavant, l’article 5.59 du nouveau Livre 5 consacre la possibilité soit pour les parties de conclure un accord constatant la nullité du contrat soit pour « toute personne habilitée à se prévaloir de la nullité » de notifier cette nullité aux autres parties au contrat, à ses risques et périls » (sauf si le contrat est constaté par un acte authentique ; ce qui exclut la vente immobilière).
Ainsi, un locataire pourrait considérer comme nul un contrat de bail, qu’il estimerait affecté d’une cause de nullité, par exemple pour défaut d’objet ou objet illicite 1 et se contenter de notifier cette nullité au bailleur, qui devrait en prendre acte et le cas échéant introduire une action judiciaire en dommages-intérêts : cette notification de nullité sortirait immédiatement ses effets, sans devoir attendre l’issue d’une procédure judiciaire.
Le rôle « correcteur » du juge
Le nouvel article 5.74 révolutionne le droit belge des contrats en introduisant la théorie dite de l’imprévision.
À présent, en cas de changement de circonstances, (i) rendant excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger, (ii) imprévisible lors de la conclusion du contrat, (iii) non imputable au débiteur, (iv) ce dernier n’ayant pas assumé ce risque et (v) la loi ou le contrat n’excluant pas cette possibilité, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin. En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, chaque partie peut s’adresser au juge. Le juge pourra le cas échéant remettre l’affaire à une date rapprochée si la condition des renégociations préalables n’est pas encore remplie.
À défaut d’accord entre les parties, le juge peut mettre fin au contrat (pour le tout ou en partie), le cas échéant avec effet rétroactif, l’effet rétroactif ne pouvant remonter au maximum qu’à la date du changement de circonstances.
À la demande d’au moins une des parties, le juge dispose également du pouvoir d’adapter le contrat.
Même si la révision ou la dissolution du contrat pour circonstances imprévisibles doit rester l’exception, les cours et tribunaux se voient ainsi reconnaître un pouvoir considérable et dont les applications ne manqueront pas en cas de nouvelle pandémie ou de nouvelle flambée des prix de l’énergie … il peut donc être pertinent d’exclure ou d’encadrer contractuellement ce pouvoir judiciaire.
La responsabilité précontractuelle et le devoir d’information
Si le livre 5 du Code civil consacre les principes classiques de la liberté contractuelle – qui implique le droit de choisir librement son cocontractant – et de la liberté de négocier, le nouvel article 5.16 impose aux parties de se fournir « pendant les négociations précontractuelles, les informations que la loi, la bonne foi et les usages leur imposent de donner, eu égard à la qualité des parties, à leurs attentes raisonnables et à l’objet du contrat ».
Chaque partie doit donc négocier de bonne foi et la qualité des parties, leurs attentes raisonnables et l’objet du contrat sont des paramètres pouvant influencer l’existence et l’étendue de l’obligation d’information. Par conséquent, un professionnel doit fournir plus d’explications et des explications plus détaillées à un futur cocontractant non professionnel (ou même à un professionnel, qui est actif dans un autre secteur), et ce à fortiori si le degré de formation de celui-ci est moins élevé ou s’il a fait part d’attentes importantes ou précises.
Ainsi, à titre d’exemple, si un agent immobilier a connaissance d’éléments, qui pourraient avoir une influence défavorable sur l’utilisation projetée du bien en vente, il doit en informer le candidat-acquéreur.
De même, un agent immobilier manquerait à l’obligation de négocier de bonne foi s’il maintient fictivement une vraisemblance de négociations avec une partie dans le seul but de faire monter les prix avec un autre candidat-acquéreur. Il devra alors indemniser le candidat malheureux de ses frais de négociation (frais de conseils not.) et de la perte de la chance d’avoir réalisé d’autres opérations semblables.
Les conditions générales
La question de l’acceptation ou non par une partie des conditions générales, rédigées par l’autre partie, pose de fréquents problèmes pratiques.
En principe, les conditions générales ne lient que la partie qui en a effectivement pris connaissance et qui les a acceptées.
Le nouvel article 5.23 prévoit, en cas de conflit entre des conditions générales et des conditions particulières, la primauté de ces dernières et, en cas de conflit entre conditions générales 2, que le contrat est formé et que les clauses des conditions générales, qui sont incompatibles, sont écartées.
Il devient donc inutile de prévoir, dans ses conditions générales, que tous les contrats sont soumis à ses propres conditions générales et que celles-ci excluent les conditions générales de l’autre partie.
L’interprétation d’un contrat (d’adhésion)
L’article 5.64 réaffirme le principe de « la primauté de la volonté réelle » :
« Dans les contrats, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
Le législateur a affirmé vouloir écarter « la doctrine du sens clair », c’est-à-dire la conception selon laquelle des clauses claires et précises doivent s’interpréter conformément à leurs termes et non en fonction d’une volonté réelle différent.
À présent, le texte, même prétendument clair, d’une clause, peut recevoir une interprétation contraire à ses termes, pour autant que cette interprétation ne soit pas manifestement inconciliable avec la portée de l’acte, « compte tenu des éléments intrinsèques à celui-ci et des circonstances dans lesquelles il a été établi et exécuté » : il faut alors tenir compte de l’ensemble des clauses du contrat et des circonstances de sa rédaction et de son exécution.
L’article 5.65 édicte une sorte de « vade-mecum » destiné aux cours et tribunaux chargés d’interpréter un contrat, qui, entre autres, privilégie, entre plusieurs sens possibles, celui susceptible de sortir des effets (licites) et conseille de se référer à l’exécution donnée au contrat in tempore non suspecto.
Lorsqu’un doute subsiste concernant la « commune intention des parties », l’article 5.66 édicte des règles, qui ne constituent plus un « guide » pour le juge mais qui sont obligatoires.
L’article 5.66, 1° prévoit que « le contrat d’adhésion s’interprète contre la partie qui l’a rédigé »; ce qui a un impact important en cas de contrat-type, proposé par une partie (par hypothèse un agent immobilier) à son cocontractant même si ce dernier n’est pas un consommateur.
En effet, le nouvel article 5.10 du Code civil définit (pour la première fois) le contrat d’adhésion comme un « contrat … rédigé préalablement et unilatéralement par une partie et [qui] n’est pas négociable » et ce indépendamment du « fait que certaines clauses du contrat soient négociables ».
L’article 5.66, 3° consacre, quant à lui, la jurisprudence actuelle selon laquelle « dans tous les autres cas, la clause s’interprète contre le bénéficiaire de cette clause ».
Ce principe d’interprétation connaît de très fréquentes applications pratiques en faveur de celui qui a souscrit l’obligation litigieuse. Ainsi, dans un contrat où coexistent des droits et obligations réciproques, l’interprétation de chaque obligation a lieu, en cas de doute, en faveur du débiteur de l’obligation en cause : l’entrepreneur qui conteste
le prix à payer à son sous-traitant est le débiteur de l’obligation litigieuse (celle de payer le prix) et, en cas de doute, la clause s’interprète alors en faveur de l’entrepreneur principal. En cas de doute quant à l’étendue de l’obligation de garantie du vendeur, celle-ci est interprétée en faveur du vendeur.
De même, comme le rappelle l’article 5.66, 2° nouveau, « la clause exonératoire de responsabilité s’interprète contre le débiteur de l’obligation » : la partie qui bénéficie d’une clause limitant son engagement est considérée comme le bénéficiaire de cette limitation ; dès lors, en cas de doute, la clause doit être interprétée en faveur du bénéficiaire de son engagement.
La faculté de remplacement
En cas de défaillance du débiteur, le créancier peut solliciter du juge l’autorisation d’exécuter lui-même l’obligation ou de la faire exécuter par un tiers aux frais dudit débiteur.
En outre, en cas d’urgence ou si « d’autres circonstances exceptionnelles » sont rencontrées et, après avoir pris les mesures utiles pour établir l’inexécution du débiteur, le nouvel article 5.85 permet au créancier de procéder au remplacement du débiteur par simple notification écrite, celle-ci devant mentionner les manquements reprochés au débiteur et les circonstances qui justifient son remplacement.
Ainsi, le remplacement extra-judiciaire pourrait avoir lieu si un entrepreneur a indiqué qu’il n’exécuterait pas des travaux ou n’est visiblement pas capable de les exécuter dans le délai utile.
Le créancier procède à ce remplacement à ses risques et périls. Il doit donc veiller à faire le choix d’un tiers compétent et dont les prix sont raisonnables. Il nous semble que cette faculté sera bien utile aux syndics confrontés à des défaillances d’entrepreneurs.
Conclusion provisoire
L’objectif principal du législateur était de rendre le droit des obligations plus compréhensible et plus prévisible, même pour les non-juristes. Cet objectif est atteint.
Toutefois, il faudra un peu de temps pour s’adapter aux quelques modifications législatives mais aussi pour saisir les opportunités qu’elles représentent pour chaque acteur économique.
1 Par exemple, parce qu’il estimerait à tort que le bien loué aurait été construit sans permis.
2 La partie ayant reçu, par hypothèse, les premières conditions générales avec la communication d’une offre a accepté cette offre en transmettant ses propres conditions générales
Article rédigé par Francine Messinne et Jean Laurent
Avocats associés CEW & Partners
francine.messinne@cew-law.be
Chargée de cours à l’ULB,
Managing Partner et avocate
(source: Federia)
Illustration: Depositphotos