La rescision pour lésion

Publié par , le 2 mai 2016 - ,

Conformément à l’article 1674 du Code civil, « si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d’un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu’il aurait déclaré donner la plus-value ».

Le législateur a ainsi introduit une présomption selon laquelle1 une personne qui vend son immeuble pour un prix inférieur à cinq douzièmes de sa valeur ne peut avoir valablement consenti à la vente. Dans ce cas, la contrainte morale est présumée2.

Selon la Cour de cassation, les dispositions 1674 à 1685 du Code civil sont impératives3. Le vendeur peut uniquement y renoncer après que la vente ait été conclue, ce qui signifie qu’il ne peut pas y renoncer au préalable mais peut décider de ne pas exercer l’action en rescision une fois la vente conclue4.

La question de savoir s’il y a eu lésion de plus de sept douzièmes implique une appréciation difficile, puisqu’il est nécessaire, pour ce faire, de déterminer la valeur de l’immeuble5. L’estimation de la valeur et de l’état de l’immeuble devra avoir lieu au moment de la vente. C’est pourquoi, il faut comparer :

–          D’une part, le prix de vente de l’immeuble, et

–          D’autre part, la valeur de l’immeuble déterminée en fonction de l’état de ce dernier et des charges qui le grèvent6.

La loi prévoit des conditions de fond et des conditions de procédure assez strictes pour invoquer la lésion des sept douzièmes.

Premièrement, il doit s’agir d’un contrat de vente. Il est utile de mentionner que l’article 1674 du Code civil, en raison de son caractère exceptionnel, doit être interprété de manière restrictive7. C’est pourquoi la rescision pour lésion ne s’applique ni à l’échange8 ni au bail à nourriture9 ni à l’apport d’un immeuble en société10.

Deuxièmement, la vente doit porter sur un immeuble, qu’il s’agisse d’un immeuble par nature, ou d’un immeuble par destination11. Tous les meubles, en ce compris les meubles par anticipation, sont dès lors exclus12.

Troisièmement, seul le vendeur peut demander la rescision pour lésion. L’article 1674 du Code civil n’a pas octroyé la même possibilité à l’acheteur.  Le législateur a même rappelé à l’article 1683 du même Code que « la rescision pour lésion n’a pas lieu en faveur de l’acheteur ».

Quatrièmement, la lésion doit être « énorme » puisqu’elle doit être supérieure à sept douzièmes du prix réel de l’immeuble13.

Quant aux personnes pouvant introduire l’action en rescision, il s’agit du vendeur, de ses représentants, de ses ayants cause et héritiers14 ou encore de ses créanciers agissant sur base de l’action oblique15. La procédure doit être intentée contre l’acheteur.

Concernant le délai pour agir, il s’agit d’un délai préfix de deux ans, lequel commence à courir à partir de la vente16, et plus précisément à partir du moment où celle-ci sort ses effets17. C’est pourquoi, en cas de condition suspensive, le point de départ du délai est le moment où la condition est réalisée, et pas avant18.

Dès lors qu’il s’agit d’un délai préfix, le vendeur ne peut pas invoquer des causes d’interruption ou de suspension de la prescription, et ce, en vertu de l’article 1676 du Code civil.

La procédure s’organise en deux temps.

En premier lieu, il revient au vendeur d’apporter la preuve de faits « assez vraisemblables et assez graves pour faire présumer la lésion »19. Si le juge estime que les faits invoqués par le vendeur répondent aux critères précités, il ordonne un jugement avant dire droit par lequel il désigne d’office un collège de trois experts20, sauf accord des parties pour choisir les experts21.

Dans un deuxième temps, et sur base du rapport d’expertise, le juge décidera s’il y a eu lésion de plus de sept douzièmes ou non22. Il est à cet égard important de préciser que l’expertise est indispensable, même dans l’hypothèse où le juge serait dès le départ convaincu de l’existence de la lésion23. Il est également utile de rappeler que le tribunal n’est bien évidemment pas lié par le rapport d’expertise24.

Enfin, la sanction prévue par le législateur est la rescision, laquelle est en réalité une annulation25. Cette dernière est rétroactive, et implique par conséquent des restitutions réciproques, ce qui signifie que le vendeur sera tenu de rembourser le prix payé et l’acheteur sera tenu contraint de restituer la chose26.

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1. B. Kohl, La vente immobilière. Chronique, 2012, p. 138, n°78.

2. C. Delforge, La vente : le régime général de la vente selon le Code civil (Volume 1), dans X., Guide juridique de l’entreprise – Traité théorique et pratique. 2ème édition, Titre III, Livre 32.2, p. 82.

3. Cass., 11 janvier 1980, Pas., 1980, I, p. 542. Pour un exemple plus récent, voy. Bruxelles (8e ch.), 30 juin 2004, R.W., 2006-07, liv. 28, p. 1161.

4. C. Delforge, op. cit., p. 83, qui cite également : Cass., 25 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1261.

5. B. Louveaux, « Vente immobilière. Lésion des sept douzièmes », Immobilier, 2004, liv. 21, p. 2.

6.Voy. Cass. (3e ch.), RG C.12.0592.F, 4 mai 2015 (Solifa sa / A.G., Y.C., AGC Transports).

7. J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1960, p. 228, n°550.

8.Article 1706 du Code civil.

9. J. Deprez, « La lésion dans les contrats aléatoires », Rev. trim. dr. civ., 1955, pp. 22-23;

10.Voy. Cass. fr., 12 juin 1945, J.C.P., 1946, II, n°3203.

11.J. Hansenne et C. Renard, « Les biens », in Rép. Not., tome II, livre 2, seconde édition mise à jour, Bruxelles,

Larcier, 1987, n°47.

12. A. Cruquenaire, « La rescision pour lésion », dans X., Vente. Commentaire pratique, Kluwer, II, 1-2.4.

13.Voy. Cass, 25 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1261 ; Cass., 4 mai 2015, R.G. C. 12.0592.F.

14.J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1960, p. 235, n°572.

15. Article 1166 du Code civil.

16. Article 1676 du Code civil : « la demande n’est plus recevable après l’expiration de

deux années, à compter du jour de la vente ». Voy. également Cass., 24 janvier 1969, Pas., 1969, I, p. 476.

17.A. Cruquenaire, op. cit., p. 2.10.

18. F. Laurent, Principes de droit civil, tome XXIV, Bruxelles, Bruylant, Paris, Durand, 1877, p. 437.

19.Article 1677 du Code civil.

20. Article 1678 du Code civil. Voy. Bruxelles, 30 juin 2003, J.T., 2004, p. 745.

21. Article 1680 du Code civil.

22.Cass., 25 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1261.

23. Voy. B. Khol, La vente immobilière. Chronique, 2012, p. 130, n°73.

24. Cass., 4 mars 1926, Pas., 1926, I, p. 275.

25. C. Delforge, op. cit., p. 87.

26. Ibidem.

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