Concentrons-nous à présent sur les servitudes, dont le régime a également été passé au crible par le législateur dans le cadre de la réforme du droit des biens. Pour nous aider à faire la lumière sur cette matière, Federia a fait appel à Maitre Vincent Defraiteur, avocat au barreau de Bruxelles et spécialiste du droit immobilier.
En guise d’introduction, pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste une servitude ?
Une servitude est un service qui grève un immeuble en faveur d’un autre immeuble. L’immeuble bénéficiaire s’appelle le fonds dominant ; l’immeuble grevé de la charge s’appelle le fonds servant. Dans le livre 3, la servitude est décrite comme un droit réel d’usage. Elle est en principe perpétuelle.
Sous le régime de celui qu’il faut désormais appeler « l’ancien Code civil », on parlait de servitudes « apparentes », « non-apparentes », « continues » ou encore « discontinues ». De quoi s’agit-il ? Pourriez-vous nous donner un exemple ?
Une servitude continue est une servitude qui s’exerce sans le fait actuel de l’homme, alors qu’une servitude discontinue exige le fait actuel de l’homme. Par exemple, une servitude de passage est par essence discontinue alors que l’écoulement de l’eau de pluie sera continu. Une servitude apparente est une servitude qui se manifeste par des ouvrages extérieurs. Par exemple, une servitude de non aedificandi (c’est-à-dire l’interdiction pour le propriétaire du fonds servant d’édifier une construction sur ledit fonds) sera non apparente.
La réforme du droit des biens vient-elle chambouler le régime des servitudes ? Les catégories de servitudes que vous nous décriviez ci-dessus sont-elles maintenues ?
Le livre 3 abroge la distinction entre les servitudes continues et discontinues. Quant à l’apparence, elle est redéfinie : seront apparentes les servitudes qui s’annoncent par des ouvrages permanents et visibles ou par une activité régulière et révélée par des traces sur le fonds servant. Ce changement a des incidences en matière de prescription et de destination du propriétaire.
Un de mes clients est en train de construire sa maison et voudrait placer un balcon ou une fenêtre à 1,5 mètre de la limite de la parcelle voisine. Est-ce autorisé ?
Non, ce n’est pas autorisé. Il s’agit d’une vue droite et un tel dispositif doit respecter la limite d’1,9 mètre tirée perpendiculairement par rapport à la limite séparative des fonds. Cette mesure est inchangée.
Et si sa baie vitrée ne s’ouvre pas et laisse juste passer la lumière du jour ?
Selon mon analyse, ce cas de figure n’est pas visé par le livre 3, ce qui me surprend. Le livre 3 n’évoque pas la notion de “jour” car les ouvertures dans les murs visées à l’article 3.132 ne concernent selon moi que des ouvrages laissant passer l’air.
Le titre de propriété de mon client précise qu’il bénéficie d’une servitude de passage sur le terrain voisin pour pouvoir accéder à son jardin depuis la rue. Mon client m’informe qu’il utilise ce passage surtout pour évacuer ses déchets verts avec sa brouette et sortir sa production de légumes. Qui doit entretenir ce passage (tonte haies et pelouse, élagage,…) ?
L’entretien de la servitude incombe en principe au fonds dominant. Toutefois, le livre 3 prescrit que si le passage bénéficie aux deux fonds, ces frais seront partagés en proportion de l’utilité respective pour chaque fonds (article 3.121).
L’acte d’achat de la maison familiale dans les années 50 par les parents de mon client (qui sont aujourd’hui décédés) fait état d’une servitude de passage au profit de la maison voisine. Mon client m’informe que les occupants de celle-ci ont très souvent changé et que plus personne n’utilise ce passage depuis de nombreuses années, celui-ci étant aujourd’hui envahi par la végétation. Les nouveaux acquéreurs de la maison, ayant eu connaissance de ce passage dans leur acte d’achat, interrogent mon client quant à ce passage et voudraient savoir s’ils peuvent encore l’emprunter. Que peut-il leur répondre ?
Il pourrait leur opposer que la servitude de passage est éteinte par prescription extinctive à la suite d’un non-usage trentenaire (article 3.126). Ce sera à eux à réclamer en justice le rétablissement de la servitude, ce à quoi il pourrait leur opposer la prescription. Le livre 3 précise que la preuve du non-usage incombe au fonds servant, ce qui n’est pas sans difficulté dans la mesure où il s’agit de la preuve d’un fait négatif.
Mon client me fait savoir que depuis 15 ans, il emprunte un sentier lui permettant de relier la rue à son jardin. Il l’entretient lui-même (taille de la haie, placement de petits cailloux pour limiter la boue, élagage,…). Il ne savait pas à qui appartenait ce sentier mais voilà que le nouvel acquéreur s’est présenté à lui pour lui interdire de passer par ce sentier. En est-il effectivement privé ?
Le client ne pourrait pas soutenir avoir prescrit une servitude de passage car ce n’était pas possible sous l’empire de l’ancien droit. Il ne pourrait pas non plus soutenir avoir prescrit la pleine propriété car cela requerrait un délai trentenaire. Ce droit peut être qualifié de tolérance, avec pour conséquence que le voisin peut y mettre fin moyennant un délai raisonnable.
Cela fait 40 ans qu’un conduit de cheminée de la maison de mon client dépasse chez le voisin. Les nouveaux acquéreurs qui viennent d’acheter le bien voisin souhaitent que mon client le retire. Doit-il s’exécuter et ainsi retirer le conduit de cheminée ?
Le client ne peut pas non plus soutenir avoir prescrit une servitude de cheminée car celle-ci étant discontinue, elle était imprescriptible. Tout au plus il bénéficiait d’une tolérance qui peut prendre fin moyennant délai raisonnable. La seule possibilité d’asseoir une servitude est qu’elle ait été consacrée dans le titre de propriété du fonds voisin.
Le voisin de mon client se plaint de l’ombre que donne son saule pleureur sur son potager. Il menace de couper les branches qui dépassent sur son jardin, ce qui ferait perdre au saule de mon client sa belle forme arrondie et le rendrait tout à fait disproportionné. Que peut-il/doit-il faire ?
Selon l’article 37 du Code rural qui était applicable avant la réforme, le voisin ne pouvait pas couper les branches lui-même. Il devait saisir le Juge de Paix pour obtenir la condamnation du propriétaire du saule et élaguer les branches envahissantes. Le livre 3 prévoit en son article 3.134 que le voisin sera demain autorisé à couper lui-même les branches mais seulement après avoir envoyé une mise en demeure de les couper dans les soixante jours. Le droit d’exiger que les branches soient coupées est imprescriptible.
Interview de Vincent Defraiteur
Avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ainsi qu’à l’ULB
vincent.defraiteur@minimes41.be
Reproduite ici avec l’autorisation de Federia
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